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Chroniques
récital François-Frédéric Guy
La Roque d’Anthéron (2002)
Les Pianos de la Nuit est une collection de récitals enregistrés en public lors du Festival International de Piano de La Roque d'Anthéron en juillet-août 2002. Réalisées spécialement pour le DVD, ces interprétations virtuoses ont vocation à constituer dès aujourd'hui les archives classiques du XXIe siècle. François-Frédéric Guy fut filmé le 7 août 2002.
Première œuvre au programme, Bénédiction de Dieu dans la solitude, S.173 n°3 s'ouvre sur un moderato un peu ampoulé et ralenti qui font craindre le pire, tout comme certaines indications de la partition qui se trouvent accentuées sinon décuplées. Très vite cependant, on retrouve le pianiste qui nous avait convaincu dans son interprétation de Prokofiev (son disque le plus récent, paru chez Naïve). François-Frédéric Guy, extrêmement calme, nous enchante par la douceur de son jeu – le dolcissimo de la mesure 51 est d'une délicatesse exemplaire – et même quand la phrase exulte, sur le dernier tiers avant l'andante, cela se fait progressivement, sans abrupt dans les contrastes. Le crescendo est entretenu, comme bridé, jusqu'à l'envahissement. Si l'on peut regretter un usage trop fréquent de la pédale sur le début de l'andante, on approuvera en revanche la nuance toujours bien amenée et le ralenti à la sonorité moelleuse. « La paix dans des cœurs retentissants d'orages » – pour citer Lamartine – est la nôtre au terme d'une œuvre dont la portée spirituelle a été atteinte.
Pensées des morts, S.173 n°4, comme le morceau précédent, est extrait du recueil Harmonies poétiques et religieuses (1834-1852). Malgré l'indication lento assai, le pesante du début est heureusement moins marqué que ce qu'on aurait pu attendre. Les récitatifs sont délicats et l'ensemble très recueilli. La musique se poursuit poco accelerando, trop précautionneusement peut-être, jusqu'à l'arrivée du thème. Le de profondis est desservi par un piano aux graves qui ne sonnent pas, qui tournent et sont mal réglés... Avec bonheur et respect de l'indication cantabile assai, l'adagio final, est chanté comme une prière.
Des piqués portés ouvrent la dernière œuvre au programme, la Sonate en Si mineur S.178. C'est une très belle sonate, à l'interprétation à la fois recueillie et farouche, que nous offre le pianiste, au visage traversé parfois de petits acquiescements, comme s'il s'encourageait au fur et à mesure.
En revanche, le réalisateur livre un cadeau empoisonné ! Tout commence bien : le pianiste déjà installé, on entre directement dans la musique, avec le suspens d'une caméra qui vient très lentement de la queue du piano sur le clavier. On remarque ensuite l'effort louable de chercher la variété des plans d'un morceau à l'autre. Mais à trop vouloir fuir l'immobilité et rechercher l'innovation, Yvon Gérault impose au spectateur une somme de plans des plus maladroits : halo éblouissant de projecteurs, multiples reflets bleus sur la laque du piano, caméra qui cherche le point de vue original en se plaçant en dessous du poignet – procédé qui découvre la paume mais masque les doigts –, ou se place à la stricte verticale du clavier – infligeant le spectacle grotesque de mains coupées courant abstraitement sur une bande noire et blanche –, ou enfin monte en vrille au-dessus du cadre de l'instrument. Dernières choses indignes d'un professionnel, remarquons un montage sans grande fluidité (le plan sur le profil droit du pianiste auquel s'enchaîne celui sur le profil gauche de sa main) et le recours au fondu lorsque la caméra s'aperçoit qu'elle a décapité le pianiste en s'aventurant derrière le couvercle bien ouvert.
Le public du pianiste s'évente sur les gradins autour de lui... On regrette que ce ne soit pas la chaleur qui nous déconcentre de cette communion avec l'œuvre de Liszt, mais l'homme qui devait faire de ce récital exceptionnel un document de référence pour les générations futures.
LB